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L’étude : (re)lire la saga est-il vraiment pénible ? Des tendances et des surprises

Grâce à ma méthodologie, j’ai donc pu relire les 6 tomes de mon étude, et remplir mon tableau Excel. Il ne me restait alors plus qu’à croiser les indicateurs que j’avais choisis pour répondre à certaines grandes questions :

  • Les liaisons narratives occupent-elles la même place dans chaque tome ?
  • Leur contenu et leur forme ont-ils changé au fil des tomes ?
  • Mon impression de base, selon laquelle les liaisons narratives disparaissaient à partir du tome 5, était-elle exacte ?

Avant de chercher à les expliquer, je devais donc constater les grandes tendances des liaisons narratives. Voici les grandes lignes de ce travail.

Surprise : des liaisons présentes dans tous les tomes

Tous les tomes de la saga ne font pas la même taille. Le T5 (le plus long) compte trois fois plus de signes que le T1 (le plus court). De même, tous les tomes n’ont pas la même structure, ni la même profondeur. On le remarque lorsque l’on compare le nombre de chapitres de chaque livre.

Les tomes varient énormément, tant en volume qu’en nombre de chapitres.

Pourtant, la part des liaisons narratives est relativement proche :

Un changement d’hypothèse

Mon étude démarrait donc avec une surprise : contrairement à ce que je pensais depuis des années, les liaisons narratives ne disparaissent pas à partir du T5. Dans chaque tome, environ 3 % du récit sert à rappeler des événements déjà lus auparavant. Si le T5 est celui qui compte la plus petite part, c’est surtout parce qu’il est le plus volumineux.

J’ai donc changé de postulat : si les liaisons narratives ne disparaissaient pas à partir du tome 5, j’avais toutefois bel et bien eu cette impression au fil de mes nombreuses relectures. L’autrice n’avait pas cessé de faire appel aux liaisons narratives, mais elle avait réussi à duper ma vigilance, et à me les rendre moins visibles (et donc moins pénibles à la lecture). La rupture que j’avais sentie au tome 5 n’était pas une disparition, mais une évolution.

Des liaisons narratives qui évoluent au fil des tomes

Des liaisons narratives moins condensées en début de roman

Première évolution : la répartition des liaisons narratives dans chaque tome. Dans les trois premiers livres étudiés (T2, T3 et T4), on retrouve une répartition similaire :

Les premiers chapitres sont ceux qui comptent le plus de liaisons narratives.

Plus on avance dans ces tomes, moins les chapitres comportent de liaisons narratives. A chaque fois, c’est le premier chapitre qui rappelle le plus d’éléments déjà lus. Cette répartition suit une logique d’exposition : le premier chapitre est l’occasion de (re)découvrir l’univers et les personnages. Puis, au fil de la narration, les liaisons narratives disparaissent progressivement, à mesure que les tomes laissent place aux péripéties et à la résolution des intrigues. Leur présence dans le premier chapitre peut être très importante : jusqu’à 20 % du total des liaisons narratives du T3, par exemple.

Expositions

Chaque incipit rappelle donc les bases des éléments à connaître pour se lancer dans les aventures de Harry. La seule exception est le tome 4, qui attend le deuxième chapitre pour faire ces rappels, car le premier est focalisé sur Voldemort, ce qui retarde l’apparition du héros. Dans chacun de ces tomes, le deuxième chapitre qui comporte le plus de liaisons narratives est celui du retour à Poudlard, source de nombreuses descriptions du château, de ses règles et de ses habitants. Les liaisons narratives apparaissent en même temps que l’on retrouve un personnage ou un lieu que l’on connaît déjà : elles accompagnent la (re)découverte de l’univers.

Cette répartition relativement logique des liaisons narratives change radicalement à partir du T5 :

Dans ces tomes, la répartition des liaisons narratives est beaucoup moins structurée, et ne suit plus de règle logique liée à un rafraîchissement rapide de la mémoire des lecteurs. C’est désormais l’intrigue en elle-même qui provoque l’apparition de liaisons narratives. Ce renversement est symbolisé par le tome 5, qui condense la majorité de ses liaisons narratives dans l’avant-dernier chapitre, celui de la discussion entre Harry et Dumbledore après la mort de Sirius, où tant de mystères du passé sont rappelés, puis révélés.

Des évolutions dans l’objet des liaisons narratives

Pour comprendre les liaisons narratives, j’ai également voulu étudier leur contenu. En relevant tous ces passages, j’ai remarqué que les liaisons narratives pouvaient se diviser en trois grandes thématiques :

  • les liaisons narratives portant sur les personnages ; Harry, ses amis, ses ennemis, les habitants de Poudlard… ;
  • les liaisons narratives portant sur le monde des sorciers imaginé par l’autrice : le fonctionnement de la magie, les lieux et bâtiments, les coutumes des sorciers…  ;
  • les liaisons narratives portant sur les événements passés, lus dans les tomes précédents.

Un passé de plus en plus lourd à rappeler

Les sujets des liaisons narratives me paraissait prépondérant, notamment car les livres et l’univers imaginés par l’autrice sont de plus en plus complexes. Chaque tome, notamment, apporte son lot de nouveaux personnages à la saga, qui en compte presque 800 à la fin du tome 7.

Je pouvais donc postuler que les liaisons narratives sur les personnages, voire sur le monde des sorciers, lui aussi approfondi dans chaque tome, seraient les plus nombreuses. C’est effectivement le cas dans les deux premiers tomes étudiés. Pourtant, dès le tome 4, les personnages ne sont plus le principal sujet des liaisons narratives. Malgré l’approfondissement de l’univers et malgré l’augmentation du nombre de personnages, ce sont les événements lus dans les tomes précédents qui dominent désormais, et les rappels sur les codes de l’univers sont de moins en moins présents.

Dans les tomes 4 à 7, ce sont les événements passés qui dominent les liaisons narratives.

Cette domination peut sembler logique : à mesure que la saga avance, elle s’appuie sur un passé de plus en plus riche. Toutefois, en analysant dans le détail, j’ai constaté que chaque tome renvoyait avant tout aux événements du tome précédent. Ces passages semblent donc d’abord au service du lien entre le nouveau tome et son prédécesseur, plutôt qu’au service d’un résumé du passé dans son ensemble.

Une origin story de moins en moins importante ?

Mais surtout, le détail de la thématique des “événements passés” m’a confirmé qu’une rupture s’opérait au tome 5 : l’enfance de Harry, thématique forte des premiers tomes, et indispensable pour tout néophyte, était désormais très peu abordée.

L’enfance de Harry est de moins en moins mentionnée à partir du tome 4, et le tome 5 la fait presque disparaître.

Ces chiffres montrent qu’à partir du tome 5, les liaisons narratives dont le but était de récapituler l’origin story de Harry sont beaucoup moins nombreuses. Fini les rappels du drame vécu par Harry lorsqu’il avait un an et de son enfance malheureuse : place à des liaisons narratives qui rappellent des éléments plus récents, et importants pour comprendre l’intrigue à venir.

Pénibilité : des liaisons narratives de moins en moins visibles

Enfin, j’ai pu constater que les liaisons narratives étaient effectivement bien moins visibles à partir du tome 5, dans le sens où le lecteur moyen aura moins conscience qu’il lit un élément déjà lu.

Ce constat s’est appuyé sur deux indicateurs :

  • les liaisons narratives constituaient-elles une phrase entière, ou un simple passage ? Si elle occupe une phrase entière, la liaison narrative a plus de chances de constituer une pause dans la lecture : “Les parents de Harry avaient succombé à l’attaque de Voldemort, mais Harry avait survécu, avec pour seul souvenir cette cicatrice en forme d’éclair. À l’inverse, une liaison narrative intégrée à une phrase qui, elle, fait avancer l’intrigue, sera beaucoup moins visible : “Peeves, l’esprit frappeur, surgit alors dans le couloir.”
  • les liaisons narratives étaient-elles énoncées par le narrateur, ou par d’autres agents, comme les personnages, un journal ou une lettre ? Lorsque le narrateur prend en charge une liaison narrative, le lecteur a davantage conscience qu’elle lui est destinée. Alors que si cette liaison narrative intervient dans un dialogue où l’un des deux personnages ignore l’information (re)donnée, le lecteur jugera cette répétition bien plus naturelle. C’est notamment le cas lorsque Harry explique les règles du Quidditch au jeune Colin Crivey dans le tome 2.

En bref, plus les liaisons narratives occupent une phrase entière et/ou sont énoncées par le narrateur, plus elles seront visibles et pénibles à lire. Et ces deux indicateurs confirment très clairement la rupture du tome 5 :

À partir du tome 5, les liaisons narratives sont bien moins visibles : le narrateur les prend moins en charge, et elles occupent moins souvent des phrases entières.

En bref : quelle rupture au tome 5 ?

Mon étude m’a donc permis de constater que les liaisons narratives ne disparaissent pas à partir du tome 5. Elles évoluent pour être moins visibles, et donc moins pénibles à lire :

  • Elles sont moins visibles car elles ne se concentrent plus dans des chapitres en début de tome et ne retardent plus le “vrai démarrage” de l’intrigue ;
  • Elles sont moins visibles car elles n’abordent plus systématiquement l’enfance malheureuse de Harry ou ses premiers pas dans le monde des sorciers. Elles n’essaient plus de récapituler l’essentiel des éléments déjà lus, et sont beaucoup plus au service de l’intrigue du roman que le lecteur est en train de lire ;
  • Elles sont moins visibles car elles changent de forme pour apparaître de façon plus subtile. Elles occupent beaucoup moins souvent des phrases ou des paragraphes entiers, et elles sont de plus en plus prises en charge par des locuteurs plus subtils que le narrateur (des personnages, des lettres, des journaux…).

J’avais donc une réponse à ma question de base : oui, la saga est moins pénible à (re)lire à partir du tome 5. L’autrice a bien changé de stratégie vis-à-vis des liaisons narratives, et ce en plein milieu de l’écriture de sa saga. Mais pourquoi ? Était-ce seulement pour ne plus récapituler les mêmes éléments à l’infini ? Il me restait encore à comprendre les raisons de ce changement de stratégie, et c’est ce que j’ai essayé de faire en proposant plusieurs hypothèses explicatives.

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